Comme cela semble être la mode de mettre des interviews dans la rubrique News, voici un petit entretien avec David Gemmell (The Guardian, Mai 2003) :
David Gemmell est fier d’être un auteur de Fantasy
Lorsque mon premier roman, Légende, a été publié en 1984, mes éditeurs m’ont prévenu qu’il n’y aurait pas beaucoup de critiques dans la presse, si jamais il y en avait.
- Pourquoi ? demandais-je innocemment.
- Parce que, cher enfant, la Fantasy n’est pas considérée comme de la littérature. Les elfes, les dragons, tout ça. Aucune chance de gagner le Goncourt.
Les anciennes cultures n’auraient pas compris ce dédain. Les premières civilisations se servaient de la Fantasy pour inspirer leurs citoyens ; la première œuvre épique connue, Gilgamesh, raconte l’histoire d’un roi qui se bat face à des hommes, des démons et des dieux. Les anciens savaient que l’homme était un animal dangereux et imprévisible dont la violence devait être canalisée. Aussi racontaient-ils des histoires de héros qui contrôlaient leur nature violente pour le bien de tous. Les Grecs également comprenaient le désarroi qui hantait l’âme humaine ; les ténèbres qu’inspiraient l’avidité, la jalousie, la haine et la peur. Ainsi leurs héros ne luttaient pas seulement face aux hommes, mais également face à des esprits et des monstres qui représentaient les démons intérieurs auxquels nous devons tous faire face.
Pourtant, de nos jours, les stigmates de la Fantasy effraient plus d’un éditeur. Les romans de J.K. Rowling ne sont pas marquetés comme de la Fantasy - mon Dieu, non ! - mais comme un mélange de genres ; Prisonniers du Temps, de Michael Crichton, avec son histoire de voyage dans le temps, sa chevalerie et ses chevaliers comme du Thriller ; les ours parlants de Philip Pullman, ses anges et ses univers alternatifs comme de la fiction imaginative ; la série du Disque-Monde de Terry Pratchett, qui se passe sur le dos d’une tortue géante comme… de l’humour.
Beaucoup de romans de Fantasy - Le Seigneur des Anneaux, par exemple, ou Lavondyss de Robert Holdstock sont merveilleusement bien écrits. Child Garden de Geoff Ryman est un roman exquis et profondément captivant. La trilogie Gormenghast de Mervyn Peake est un exemple étourdissant de littérature avec une narration à plusieurs niveaux. Donc, la qualité de l’écriture ne condamne pas le genre.
Alors pourquoi ce dédain ? Notre monde moderne, bien qu’infiniment plus complexe que celui de la Grèce antique, est bien plus superficiel. Là où les Grecs offraient un simple entraînement psychologique, nous vivons dans une ère de mode et de passades dans laquelle la perception que nous avons du bien et du mal varie selon les vues politiques du moment. Dans une ère comme la nôtre, la pureté de la Fantasy, avec son emphase sur la moralité, le courage, la rédemption et le sacrifice, est qualifiée de simpliste - voire même frivole - par ceux qui savent comment fonctionne le monde réel.
Dans ce monde, on encourage des jeunes gens à se teindre les cheveux comme Beckham - mais pas à défendre le pont aux côtés d’Horatius Coclès ou à affronter le Minotaure, comme Thésée. C’est un monde avec plusieurs niveaux de gris, où les principes sont toujours sujets à compromis.
Un jour, un fan m’a écrit pour me dire qu’alors qu’il promenait son chien, il vit deux hommes attaquer une femme ; il se précipita sur eux et ils s’enfuirent. Il avait juste fini de lire un de mes romans et ses pensées débordaient d’héroïsme. Ici, pas une trace de gris. C’est cela la vraie magie de la Fantasy : elle peut nourrir les âmes et changer des vies.
David Gemmell